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                          I – Introduction 
                           
                          En 1928, lorsque le terme Samba1 émerge dans la culture brésilienne comme                            écriture poétique, il véhicule une notion qui recoupe étonnement ce que Lacan (1977)
                            dit de l'amour comme signification vide. Cet article se propose de montrer que le Samba
                            a été à la fois réponse à la grâce chrétienne rapportée par les colonisateurs, trait d'esprit
                            (Witz) de l'esclave brésilien et évocation de l'amour comme signification vide chez le
                            parolier du Samba Angenor de Oliveira, dit Cartola2 (1908-1980). À certains égards, la
                            présence des indications de la Chose dans l'oeuvre de Cartola se trouve étroitement liée
                            au pur néant (le dreit nien)3 des troubadours. Cartola se met au service de la cause du
                            désir sous le nom de la Dona (la Dame, en occitan), en s'appuyant sur la tradition
                            courtoise à partir de la tradition orale brésilienne. En fait, l'oeuvre poétique de Cartola
                            intègre par la tradition orale brésilienne des notions de la poésie occitane et de la poésie
                            galaïco-portugaise. Dans ce cas, Senhora correspond à ce que l'amour courtois recouvre
                            comme étant la Dona (Dame). 
                             
                            Pour LACAN (1959-1960) la fonction princeps des troubadours est d'établir un
                            point privilégié où la femme aimée est mise à la place de la Chose. Cette articulation
                            entre la Chose, la femme et l'art commence en effet dans son Séminaire L'éthique de la
                            psychanalyse. Dans le Séminaire Les non-dupes errent (1973-1974) l'amour courtois y
                            est une forme de suppléance de l'absence de représentation du savoir sur la mort et le
                            sexe : « […] j'ai fait état de l'amour, de l'amour courtois dans ce qu'il imagine de la
                            jouissance et de la mort […] ». Il s'agit dans Encore (1972-1973/1975) « […] une façon
                            tout à fait raffinée de suppléer à l'absence de rapport sexuel, en feignant que c'est nous
                            qui y mettons obstacle. […] » Par la suite, LACAN (1976-1977) fera basculer l'amour
                            du côté de la jouissance : « […] parler d'amour est en soi une jouissance. » Nous
                            pouvons notamment déduire cela de ce que Lacan dit de la fonction de l'amour courtois, 
                            à la fin de son enseignement, dans son Séminaire L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à 
                            mourre ; l'amour y est un des noms explicites du réel. 
                             
La relation de l'amour et du réel — dont la Chose est un des noms — fut mise
                            en évidence à certains moments de l'enseignement de LACAN (1959-1960), notamment par la poésie des troubadours. « Comment le poète peut-il réaliser ce tour de force de
                            faire qu'un sens soit absent ? », demande LACAN (1976-1977) dans les dernières
                            séances du Séminaire XXIV : « C'est, bien entendu, en le remplaçant, ce sens absent, par ce que
                            j'ai appelé la signification. La signification n'est pas du tout ce qu'un vain peuple croit, si je puis dire. La
                            signification, c'est un mot vide, autrement dit : c'est ce qui, à propos de Dante, s'exprime dans le
                            qualificatif mis sur sa poésie, à savoir qu'elle soit amoureuse. L'amour n'est rien qu'une signification,
                            c'est-à-dire qu'il est vide ; et on voit bien la façon dont Dante l'incarne, cette signification. Le désir a un 
                            sens, mais l'amour tel que j'en ai déjà fait état dans mon séminaire sur L'éthique, tel que l'amour courtois
                            le supporte, ça n'est qu'une signification. » 
                             
                            Cette articulation faite par Lacan nous amène à concevoir l'amour chez Cartola
                            comme signification vide, articulée au réel dont la Chose est un des noms. Cette même
                            signification vide de l'amour trouve son ressort dans la signification de l'écriture
                            poétique du Samba, ce qui implique que le Samba devienne un des noms du réel. Le
                            signifiant Samba est l'outil qui permet la mise en place de ce rapport au réel de l'amour
                            comme signification vide. En fait, ce qui n'est pas développé explicitement par Lacan,
                            c'est la relation entre l'amour comme signification vide et le dreit nien (le pur néant)
                            des troubadours4. Or, cette relation entre la Chose et le dreit nien est constituante d'un
                            savoir. Le savoir du Samba semble plus précisément l'illustrer, lorsqu'il fait de la grâce
                            chrétienne une représentation vide. 
                             
                            II - La grâce chrétienne. 
                             
                            Tout récement, DI CIACCIA (2011) nous rappelait l'importance de la grâceà                            l'égard de la position de l'analyste dans l'enseignement de LACAN (1973/2001) : « Le
                            mot Grâce nous invite donc à préciser un passage où Lacan met en parallèle ce qui s'ensuit de la morale
                            chrétienne, d'une part, et de l'éthique de la psychanalyse, d'autre part. En grec, en effet la Grâce (cariV) 
                            a donné charité, ce qui n'est pas l'amour (agaph et erwV). Pour situer objectivement l'analyste, Lacan
                            recourt à « ce qui dans le passé s'est appelé : être un saint ». Or, nous dit-il un saint [...] ne fait pas la
                            charité. Plutôt se met-il à faire le déchet : il décharite. Ce pour réaliser ce que la structure impose, à savoir
                            permettre au sujet, au sujet de l'inconscient, de le prendre pour cause de son désir. » Par ce détour
                            inattendu, LACAN (1973/2001) éclaire la juste position de l'analyste, qui ne doit pas se prendre pour
                            causa efficiens de l'opération analytique, laquelle reste toujours l'oeuvre du signifiant. » La fonction du                        signifiant Samba dans la culture brésilienne est de permettre à certains poètes, comme
                            Cartola, de pouvoir par l'écriture du Samba séparer la grâce de l'amour. 
                             
                            La bulle papale Romanus pontifex du 8 janvier 1455 est capitale pour la 
                            compréhension de la manière dont la grâce s'est inscrite comme loi biblique dans la 
                            subjectivité de l'esclave brésilien, dans la mesure où elle permet au maître portugais de 
                            réduire des peuples africains en esclavage. Avec la Romanus pontifex, la portée 
                            universelle du christianisme est assurée. Sa stratégie politique pour rassembler les 
                            jeunes états nations européens se fonde sur ce commandement biblique : «Tu aimeras 
                            ton prochain comme toi-même.» Les Ibériques, séparés par des décennies de guerres, 
                            deviennent ainsi porteurs de la bonne parole du Christ au-delà de leurs frontières, avec 
                            pour mission de christianiser les peuples noirs, musulmans et ceux des terres inconnues. 
                             
                            Par cette bulle, le pape Nicolas V autorise en 1455 le roi Alfonso du Portugal — 
                            avant même la découverte du Brésil par Pedro Alvares Cabral en 1500 — à convertir 
                            tous les incroyants et les infidèles à l'amour du Christ. L'historien Carlos ZERON 
                            (2009) analyse la présence de la Compagnie de Jésus dans l'Amérique portugaise dans 
                            son appui sur la Romanus pontifex. C'est elle qui autorise les Ibériques à « […] envahir, 
                            conquérir, combattre, vaincre, et soumettre […] les sarrasins, païens et autres ennemis 
                            du Christ […] et de réduire [les populations habitant les terres découvertes le long de la 
                            route maritime menant aux Indes] en esclavage perpétuel […]. » En filigrane de cette 
                            mission pastorale de la Romanus pontifex, on trouve la justification de la traite au sens 
                            large du terme, à savoir : le démarrage du commerce des marchandises, où l'esclave 
                            africain est considéré comme une marchandise parmi d'autres. 
                             
                            En fait, le maître s'appuie sur cette forme d'amour – l'amour universel du Christ 
                            – pour baptiser les Africains réduits en esclavage ; il s'agit ainsi d'inscrire la grâce dans 
                            la subjectivité de l'esclave. Dès lors, la grâce sera un objet d'échange entre le maître et 
                            l'esclave brésilien, le prochain (Nebenmensch), tel que FREUD (1929) le définit dans 
                            Le malaise de la culture : « […] En conséquence de quoi, le prochain n'est pas seulement pour lui
                            un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression,
                            d'exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de
                            s'approprier ce qu'il possède, de l'humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer.
                            Homo homini lupus 5; qui donc, d'après toutes les expériences de la vie et de l'histoire, a le courage de                        contester cette maxime ? 1 […] » Et LACAN (1960/2005) de préciser : « [...] Freud a raison
                            de s'arrêter là, interloqué de son invocation, parce que l'expérience montre — et
                            l'analyse articule comme un moment décisif de sa découverte — l'ambivalence par quoi
                            la haine suit comme son ombre tout amour pour ce prochain qui est aussi de nous ce qui
                            est le plus étranger. [...] » Inscrire l'amour universel du Christ chez les Africains pour
                            les réduire en esclavage a comme conséquence de les baptiser et d'autoriser à les mettre
                            sous la tutelle, en tant qu'esclaves, de leurs maîtres chrétiens. 
                             
                        S'agissant de l'esclave brésilien, la place qui lui fut octroyée par le maître
                        portugais fut celle du bétail6 Considéré comme un animal, l'esclave brésilien doit, en
                        tant qu'objet, travailler afin de produire une plus-value pour le maître. Selon nous, ce
                        statut d'objet attribué à l'esclave brésilien pendant la période de l'esclavage se décline
                        en objet marchandise et objet sadien. D'une part, son corps est assujetti aux normes
                        d'échange et d'usage visant toujours la production d'une plus-value ; d'autre part, le
                        statut de marchandise donné par le maître négrier au corps de l'esclave, en particulier
                        celui de la femme, subit un virage drastique en lui conférant le statut d'objet sadien.
                        Nous en voulons pour preuve les témoignages donnés à la Sainte Inquisition par le
                        maître, où le corps de l'esclave brésilien n'est qu'un objet de sa jouissance sadienne7 :
                        le corps d'une femme esclave est découpé en petits morceaux et servi à table8. 
                        En ce qui concerne la subjectivité de l'esclave brésilien, celui-ci aura ainsi
                        affaire à la loi de l'amour universel, qui jusqu'ici le prend comme esclave. La loi de
                        l'amour fonde ainsi la jouissance du maître prélevée sur l'esclave9. Alain BADIOU
                        (1998) analyse l'entrelacement entre la loi, et l'amour qui a débuté avec l'universalisme
                        prôné par saint Paul. Nous pouvons déduire que le prochain chrétien incarne dès lors la
                        loi qui se traduira dans le mode de jouir et dans l'amour de l'Africain lorsqu'il devient
                        l'esclave brésilien. 
                         
                        Il faudra à peu près trois cents ans pour que l'esclave se démarque de cet Autre 
                        universel. Pour ce faire, il invoquera les divinités africaines dans le rituel du candomblé. 
                         
                        III – Les disgraciés 
                         
                        Dans son Séminaire La logique du fantasme, LACAN (1966-19967) nous
                        indique la nécessité de se séparer d'une loi universelle. Dans cette perspective le travail
                        de l'esclave du Samba devra traiter, en s'en dépêtrant, la grâce comme loi universelle;
                        il le fera à partir de l'évocation des divinités afro-brésiliennes. Dans le syncrétisme
                        entre les cultes afro-brésiliens – dont le candomblé fait partie – et la religion catholique,
                        nous constatons qu'un Autre africain cohabite avec la grâce (Autre chrétien), dès
                        l'autorisation du batuque en 1810 par le Vice–roi du Brésil,  
                         
                        Dom Marcos José de
                        Noronha e Brito. À certains égards, en autorisant le batuque – l'écriture musicale des
                        percussions –, le comte de Arcos permit l'émergence des religions afro-brésiliennes,
                        dont le candomblé avec ses dieux africains, les orixás. Arcos se réfère à l'esclave 
                        brésilien du batuque comme étant un disgracié2. Cet désignation de celui qui est privé                        de la grâce n'est pas anodine. Car il faut savoir que les Noirs furent exclus du systéme
                        d'éducation dont les Jésuites avaient le monopole. De même, de la méthode de la
                        cathéchèse qui n'alphabétisait que les autochtones en latin de surcroit. En ce qui
                        concerne l'esclave, il a dû s'arranger avec la faille du maître. Certains répères de la
                        litttérature des troubadours galaïco-portugais ont été intègrés par l'esclave brésilien
                        parmi lequels cette fonction poétique de la  
                         
                        Dona comme senhal (seigneur Amour). La
                        Dame sera au commandement de l'écriture poétique du Samba lorsqu'elle rejoindra
                        l'écriture musicale de tambours du candomblé. Repéré par les historiens depuis 1790,
                        ce jeu codé des tambours résonna depuis les Senzalas (habitations collectives
                        d'esclaves) du Brésil esclavagiste jusqu'à l'émergence du Samba, à Rio de Janeiro au 
                        XXème siècle.
                        La question est de savoir comment peut-on passer de la tradition orale à 
                        l'écriture poétique. Ce passage à l'écriture commence avec l'appel lancé par l'esclave
                        brésilien lorsqu'il transforme la grâce en manque et en privation. 
                         
                          IV - Le Samba naît d'un trait d'esprit (Witz). 
                             
                            Dans l'émergence de l'écriture musicale du Samba, auquel Ismael Silva a donné                            ses lettres de noblesse, on trouve cette onomatopée :
                            bumbumpaticumbumprugurundum10. À l'aide de sa lalangue, le parolier Ismael Silva                            écrit la partition des percussions. Éclairé par LACAN (1972/2001)11, il nous a fallu
                            essayer de parler la langue des Nourrices noires, les Amas de Leite, pour saisir et isoler
                            un signifiant particulier : bumbum (les fesses). Avec celui-ci, l'esclave brésilien nomma,
                            dans le corps d'une femme, l'obscénité dont l'ensemble des femmes – noires, mulâtres,
                            tupies et blanches – furent l'objet. L'équivoque du trait d'esprit naquit du fait que le
                            reste métonymique « bum » rencontra les deux autres signifiants nécessaires au 
                            symptôme de l'esclave brésilien — batuque (jeu codé des tambours) et tambor
                            (tambour) —, lors des cérémonies du candomblé12. 
                             
                            Ce que FREUD (1905c/1990) appelle associations superficielles entre les
                            représentations d'un trait d'esprit (Witz) se trouve chez LACAN (1966-1967) articulé                            comme étant la lettre13. C'est donc par la porte du trait d'esprit que l'esclave brésilien
                            s'octroya la possibilité d'avoir un désir. Nous supposons ainsi que l'objet féminin
                            inaccessible se trouve à l'origine de l'objet cause du désir de l'esclave brésilien. Cet
                            objet se déplace de façon métonymique pour former la trace de son symptôme d'esclave.
                            Nous partons du principe que l'esclave brésilien, lorsqu'il appelle l'Autre – les
                            orixás, les divinités africaines – en lançant bumbum, va produire une trouée dans la
                            grâce comme loi universelle. La grâce chrétienne devient une représentation
                            (Vorstellung) parmi une multiplicité de représentations africaines. En évoquant la
                            divinité africaine, l'esclave brésilien accède à l'événement de satisfaction 14 (Das
                            Befriedigungserlenis) ; le sujet instaure alors un rapport privilégié avec das Ding (la
                            Chose) et avec l'Autre (les orixás). La grâce devient ainsi un phénomène quelconque au
                            regard de l'expérience de joie de chaque sujet. Car la représentation d'une divinité du
                            candomblé est toujours liée à l'image de Notre Dame. 
                            Ceci dit, l'appel à l'Autre (orixás) instaure un manque chez l'esclave soumis au
                            rituel du candomblé. Il déloge ainsi la grâce de cette place d'Autre absolu, corrélé à l'amour du prochain. La grâce en tant que représentation s'inscrit désormais comme
                            manque et privation. 
                             
                            V - Le Samba comme signification vide. 
                             
                            Nous devons remarquer qu'au Brésil, Samba est toujours un substantif masculin.
                            C'est Ismael Silva (1905-1975), parolier du quartier du Estácio de Sá à Rio, membre de
                            l'ensemble musical Deixa Falar (littéralement : laisse parler), qui a nommé le Samba.
                            Comment se fait-il que de la Samba, prêtresse du candomblé, nous sommes passés au
                            registre poétique musical du Samba? 
                             
                            Avec LACAN (1966-1967) relisant FREUD (1925h/1992), nous pouvons parler
                            de Verneinung lorsque le sujet mâle dénie, en forme de substitution, une représentation
                            (Vorstellung) dans le corps d'une femme. Face à l'absence d'organe pénien chez la
                            femme, le sujet dénie sous forme de substitution signifiante ce qu'il éprouve comme
                            angoisse. Le sujet dénie la représentation de l'image dans le corps de l'autre. Avec
                            Pierre Skriabine (2009) nous pouvons dire ceci: « Le Nom-du-Père réalise ainsi, en tant
                            que Bejahung (dire-que-oui) de la réalité de la castration, l'accès de l'être parlantà                            l'univers des discours et à la protection contre le réel qui permet l'instauration du lien
                            social. » Dans son Séminaire La logique du fantasme, LACAN (1966-1967) articule que
                            le sujet mâle dénie les effets les plus incommodes, les plus déprimants, du manque dans
                            l'amour. Or, le statut d'objet sadien du corps de l'esclave produit ce bum comme reste,
                            comme déchet du réel dans le symbolique. Nous émettons l'hypothèse que c'est sous les
                            espèces du corps cadavérisé d'une femme – le réel de la mort – que l'esclave brésilien
                            nomma par bumbum, une notion polysémique qui désigne à la fois les fesses, l'enfant,
                            la femme, qui est au coeur de l'écriture musicale du Samba. 
                             
                            Nous pouvons supposer que le sujet mâle, descendant de l'esclave brésilien,
                            dénie l'absence de représentation prédicative dans le corps d'une femme, à savoir : le
                            sexe. Dans l'Abrégé de psychanalyse, FREUD (1938) parle du déni comme défense
                            contre la perception d'une image, par laquelle le sujet rejette ce qui dans cette image du corps de l'autre est angoissante. Ce qui se trouve alors refoulé comme image dans le
                            corps de l'autre fait désormais retour par la voix du prochain. Il faut absolument que
                            l'image soit refoulée chez le sujet et lui revienne du dehors, de l'Autre. En fait, le sujet
                            vise l'objet de son désir dans le corps de l'autre (la Samba). La prêtresse Samba fait                            également fonction d'un Autre, car la Samba porte en elle le savoir des ancêtres. C'est
                            donc dans le corps d'une femme que le sujet mâle rencontre l'objet de son désir. Dans la
                            perspective freudienne de Trois essais sur la théorie sexuelle, le désir sexuel 
                            polymorphe du mâle ne peut se manifester que par l'ambiguïté d'un déni portant sur cet 
                            objet-personne qu'est la Samba. 
                             
                            Dans son acte de fondation de la première école de Samba au Brésil, Ismael
                            Silva s'appuie sur la prêtesse Samba dans sa fonction de Vorstellung, portant – en elle
                            en tant que Vorstellungsrepräsentanz – le savoir des Inquices, des ancêtres. Par cette
                            opération, Ismael Silva va fonder un nouveau discours poétique, le Samba. La
                            représentation (Vorstellung) des orixás est accompagnée des statuettes, représentants
                            des orixás. Ismael Silva vise la fonction savoir dans le corps de la prêtresse Samba. Il
                            s'agit de s'approprier des représentants de ce savoir féminin, plus précisément
                            d'inscrire un signifiant de l'exception, le Samba. 
                             
                            Pour faire de la musique, Ismael Silva et ses compagnons se donnaient rendezvous
                            entre les entrepôts et les bistrots du quartier de l'Estácio de Sá, appelé Balança
                            (Bascule). C'est aussi au carrefour de la dite Bascule que se trouvait l'école normale de
                            l'Estácio de Sá. Cette école normale servait à former essentiellement des jeunes filles
                            pour la fonction publique de professeur d'école primaire. La langue portugaise accepte
                            volontiers la féminisation du mot professeur, professoras. Pourtant, le mot d'ordre de
                            l'Estácio se trouve déjà au masculin « former des professores » comme si la
                            masculinisation permettait de dénier le manque féminin, alors qu'il s'approprie du
                            savoir féminin. Le savoir de la prêtresse Samba devient une signification d'exception–                            le Samba – lorsqu'Ismael Silva pose l'acte inaugural. À ce moment, les représentants du
                            savoir des ancêtres et ceux de l'école normale vont s'unir sous un même signe, celui de
                            l'école. 
                             
                            À sa manière en quelque sorte freudienne3, Ismael Silva décompose le signifiant
                            bumbum, censé avoir son origine dans la langue parlée par les Amas de Leite, et le
                            réduit à une onomatopée. Notre hypothèse est que l'amour, qui fut réprimé dans le réel                            « bumbum », revient dans le symbolique « bum ». Ismael Silva va saisir ce qui fait trait
                            d'identification (le savoir) dans la personne-objet, la prêtesse Samba (bumbum) et l'associe aux professoras (bumbum) de l'école normale. L'ambiguïté porte sur le fait
                            que la prêtresse Samba se trouve alors réduite à un objet vidé de sa substance4; il ne
                            s'agit plus d'une femme, elle doit devenir un objet vide. En même temps, il s'agit d'un
                            acte d'amour, pour reprendre ce que dit LACAN (1972-1973) « C'est là l'acte d'amour. 
                             
Faire l'amour, comme le nom l'indique, c'est de la poésie. » C'est sur la faille, le
                            manque d'un signifiant pour pouvoir désigner et nommer ce qu'est une femme,
                            qu'Isamel Silva fonde une autre forme de savoir sur l'amour, le Samba.
                            Si Ismael Silva fonde la première école de Samba au Brésil, Cartola, quant à lui,
                            bâtit une oeuvre où l'amour est signification vide lorsqu'il vise l'impossibilité de
                            nommer « ce qui est » une femme. Son écriture poétique articule à la Dona la tradition
                            de l'amour courtois. Cette opération lui permet de fonder une école de Samba. Par le 
                            travail de la lettre, il se met au service de la cause de son désir sous le nom de la Dona.
                            Dans la chanson Autonomia (Autonomie15), le but du discours poétique est de faire
                            croire que le désir du poète est commandé par la Dona. Il s'agit de produire une écriture
                            subversive et inversée, selon le modèle de la tradition courtoise : le poète fait croire que
                            c'est la Dona (Seigneur Amour) qui parle. 
                             
                           
                          
                            
                              É impossível 
                                nesta primavera eu sei 
                                Impossivél pois longe estarei 
                                Mas pensando em 
                                Nosso amor 
                                Amor sincero 
                                ai..... 
                                se eu tivesse autonomia 
                                se eu pudesse gritaria 
                                Não vou 
                                Não quero 
                                escravizaram 
                                assim um pobre 
                                coração 
                                e necessaria a 
                                nova abolição 
                                pra trazer de volta a
                                minha liberdade 
                                se eu pudesse brigaria                                
                                amor 
                                se eu pudesse gritaria
                                amor 
                                Não vou 
                                Não quero....
  | 
                              Impossible 
                                Ce printemps je le sais 
                                Impossible car loin je serai 
                                Mais pensant à toi 
                                Mon amour 
                                Amour sincère 
                                Aie........ 
                                Si autonome j'étais 
                                Si je pouvais je crierais 
                                Mais je ne le ferai 
                                Ni ne le veux 
                                Ainsi fut réduit en 
                                esclavage un 
                                pauvre coeur 
                                Une nouvelle 
                                Abolition s'impose 
                                Pour me rendre la liberté 
                                Si je pouvais je me
                                battrais, mon amour 
                                Si je pouvais je crierais, mon amour 
                                Mais je ne le ferai 
                                Ni ne le veux...
  | 
                             
                           
                                                      1 En Brésilien, on dit « le samba », terme qui implique danse, musique et chanson. À notre connaissance,                            Étienne Bours dans son dictionnaire thématique des Musiques du monde est un des rares auteurs
                            francophones à l'utiliser tel que nous le faisons dans les pays lusophones. Voir : BOURS (2002)
                            Dictionnaire thématiques des Musiques du Monde, Paris : Fayard 
                             
                            2 Le pseudonyme Cartola signifie Chapeau haut. 
                             
                            3 Depuis que Jacques Lacan s'est intéressé à la poésie des troubadours dans son Séminaire L'éthique de la
                            psychanalyse, les références sur ce sujet, en particulier sur le dreit nien, demeurent relativement vagues.
                            Le point de départ réside dans la manière dont Guilhaume d'Aquitaine a pu manier l'écriture juive à partir
                            du verbe hébraïque barah, strictement réservé à Dieu et dont le livre des Macchabées (1 :10-15) explicite
                            le sens en disant que Dieu « a tout fait de rien ». Ceci nous oblige à remonter à la Genèse (I :1-2),
                            lorsqu'elle annonce ceci : «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était tohu et bohu,
                            les ténèbres couvraient la surface de l'abîme. » En hébreu, un tohu-bohu signifie « un désert et un vide ». 
                            Guilhaume d'Aquitaine subvertit dès lors le sens initial de cette production ex nihilo, comme telle
                            réservée à Dieu, pour la faire équivaloir avec l'amour et la femme. Voir: ROUBAUD (1986/2009) La
                            fleur inverse – L'art des troubadours –, collection architecture du verbe, Paris : Les belles lettres. DE
                            RIQUER, M. (1975/2001) Los trovadores – Historia literaria y textos – 3 Tome, cuarta edictión,
                            Barcelona : Ariel. 
                             
                            4 Guilhaume IX d'Aquitaine (1071-1126) écrira ceci : « […] Farai un vers de dreit nien Je ferai un
                            poème du pur néant […]. Voir :DE RIQUER (1975/2001) Los trovadores – Historia literaria y textos–                            Tome 1, Op. Cit. p. 113. 
                             
                            5 L'homme est un loup pour l'homme. PLAUTE, Asinaria (La comédie des ânes), II, 4, 88 : « Lupus est
                            homo homini, non homo… » 
                             
                            6 L'esclave brésilien fut classé comme un animal par les maîtres ibériques en 1603. Lorsqu'Alexandre
                            Kojève l'introduit dans ses cours sur La phénoménologie de l'esprit, il part de ce principe hégélien que
                            l'esclave est un animal pour qui la résolution du désir passe inévitablement par le désir de l'Autre. Voir :
                            FREITAS (1980) Escravidão de Índios e Negros no Brasil, Porto Alegre : EST, ICP, pp. 25-29. KOJEVE
                            (1947/1994), Introduction à la lecture de Hegel, Paris : Gallimard, (Tel), p. 169.
                             
                             
                            7 Confissões da Bahia : santo ofício da inquisição de Lisboa, organização Ronaldo Vainfas, São Paulo,
                            Companhia das Letras, 2005. 
                             
                            8 CHIAVENATO (1980) O Negro no Brasil – Da Senzala à Guerra do Paraguai –, São Paulo : 
                            Brasiliense Editora.
                             
                             
                            9 Badiou nous aide à faire le rapprochement entre La bulle Romanus pontifex et la mission de saint Paul
                            lorsque celui-ci est investi de la mission suivante : que l'amour à Jésus Christ soit la loi universelle pour
                            tous. D'après Badiou, la loi chez cet Apôtre se condense de façon métonymique dans deux énoncés
                            principaux : « Ce qui nous sauve est la foi, et non les oeuvres » et « Nous ne sommes plus sous la loi, mais
                            sous la grâce ». Pour Badiou, saint Paul fait cette connexion entre le sujet et la loi lorsqu'il initie dans
                            l'histoire une prédication universelle : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme
                            libre, il n'y a plus ni homme ni femme, puisque tous sont un dans Jésus Christ » (Galates 3, 28). Ce qui 
                            ressort du compromis entre le sujet et la loi, c'est l'amour en Jésus Christ comme puissance universelle.
                            Voir: BADIOU (1998) Saint Paul – La fondation de l'universalisme –, Collection Les Essais du Collège
                            International de Philosophie, Paris : PUF. 
                             
10 À partir de cette écriture musicale, appelée depuis Le paradigme de l'Estácio, le musicologue Carlos
                            Sandroni a soutenu une thèse doctorale à l'Université François Rabelais de Tours en 1997. SANDRONI,
                            C. (2001) Feitiço Decente transformações do samba no Rio de Janeiro (1917-1933), Rio de Janeiro :
                            Jorge Zahar Editor/Editora UFRJ. 
                             
                            11 Dans L'étourdit, ce concept de lalangue se trouve défini ainsi : « […] Ce dire ne procède que du fait
                            que l'inconscient, d'être « structuré comme un langage » c'est-à-dire lalangue , qu'il habite, est assujettià                            l'équivoque dont chacun se distingue. Une langue entre autre n'est rien plus que l'intégralité des                            équivoques que son histoire y a laissées persister. […] » 
                             
                            12 L'équivoque réside dans le fait que le tambour fait « bum ! ». 
                             
                            13 LACAN (1966-1967) dans son Séminaire La logique du fantasme dit ceci « […] Voilà, exactement par
                            quelle voie se porte l'effet de l'entrée de ce qui structure le discours au point le plus radical, qui est
                            assurément — comme l'ai toujours dit et accentué, jusqu'à y employer les images les plus vulgaires — la
                            lettre dont il s'agit, mais la lettre en tant qu'elle est exclue, qu'elle manque […] » 
                             
                            14 FREUD, L'Esquisse (1895/1976-1980), trad. Susanne Hommel, Palea/Les lettres de l'Ecole freudienne
                            de Paris, Paris. 
                             
                            15 La traduction de ce Samba fut réalisée par Gasana Ndoba 
                             
                            ___________________________________________________________________________________ 
 
                            Referências Bibliográficas 
                             
                            BADIOU, A. (1998) Saint Paul – La fondation de l'universalisme –, Collection Les Essais du Collège
                            International de Philosophie, Paris : PUF, 2° édition. 
                             
                            BOURS, É. (2002) Dictionnaire thématique des Musiques du Monde, Paris : Fayard. 
                             
                            DE RIQUER, M. (1975/2001) Los trovadores – Historia literaria y textos – 3 Tome, cuarta edictión,
                            Barcelona : Ariel. 
                             
                            DI CIACCIA, A. (2011) « Lacan, Docteur de l'Église » in Lacan au miroir des sorcières, Paris : Navarin                            Éditeur.
                            Confissões da Bahia : santo ofício da inquisição de Lisboa, organização Ronaldo Vainfas, São Paulo,
                            Companhia das Letras, 2005. 
                             
                            CHIAVENATO, J. J. (1975) Genocídio américano : a Guerra do Paraguai, São Paulo : Brasiliense. 
                            ___ (1980) O Negro no Brasil – Da Senzala à Guerra do Paraguai – São Paulo : Brasiliense Editora. 
                             
                            FREITAS, D. (1980) Escravidão de Índios e Negros no Brasil, Porto Alegre : EST, ICP. 
                            ____ (1982) Palmares : a Guerra dos Escravos, Rio de Janeiro : Graal, 4° édição, 1982. 
                            FREUD, S. (1895/ 1976-1980), L'Esquisse, trad. Susanne Hommel, Palea/Les lettres de l'École freudienne de
                            Paris, Paris. 
___ Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient (1905c/1990), trad. Denis Messier, Paris : Gallimard. 
                            ___ Trois essaie sur la théorie sexuelle (1905d/1987), trad. Philippe Koeppel, Paris, Gallimard. 
                            ___ La négation (1925h/1992), OEuvres complètes, Tome XVII, Paris : P.U.F. pp. 166-171 
                            ___ Le malaise dans la culture (1929/1994), OEuvres complètes, Tome XVIII, Paris : P.U.F. pp. 247-333. 
                            ___ Abrégé de psychanalyse (1938/1975), trad. Anne Berman, Paris : P.U.F. 
                             
                            KOJEVE, A. (1947/1994) Introduction à la lecture de Hegel, Paris : Gallimard. 
                             
                            LACAN, J. Le Séminaire, Livre VII, L'éthique de la psychanalyse (1959-1960/1986), texte établi par Jacques-
                            Alain Miller, Paris : Seuil. 
                            ____ Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme (1966-1967), Paris, séminaire inédit. 
                            ____ Le Séminaire, Livre XX, Encore (1972-1973/1975), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris : Seuil. 
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